Non, il n’y a pas d’erreur dans le titre : c’est bel et bien ce que nous affirme (indirectement) le journal Le Monde, qui n’en finit plus de descendre dans mon estime. Comme on s’en doute, cette erreur est certainement involontaire mais elle montre le dévoiement à la fois de cette (désormais) feuille de choux et de la pensée.
Vous avez sûrement déjà vu cette accroche choc promue par l’association ultra-militante Extinction Rébellion qui illustre encore une fois magnifiquement que l’enfer est pavé de bonnes intentions : la pollution tue(rait) 48 000 personnes par an en France. Oui, rien qu’en France. Quand j’ai vu ça en roulant sur l’autoroute avec ma voiture polluante, mon sang n’a fait qu’un tour et mon bon sens aussi. Il n’est pas question de contester que la pollution nuit, et que la réduire ne peut que profiter à tous. Mais tout de même : 48 000 morts par an, j’avais du mal à trouver ça crédible. Ramené à la population parisienne, ça nous ferait encore 1 500 morts approximativement (toujours chaque année). Depuis, j’ai voulu comprendre d’où venait ce chiffre, et le moins que l’on puisse dire est que ça n’a pas été une partie de plaisir, et je commence à comprendre pourquoi1.
Pour résumer : l’étude2 à la base de ce chiffre n’est pas une étude prouvant le lien entre pollution et décès. L’objet de l’étude est d’estimer les impacts en France selon différents scénarios, ce qui est conforme à la mission de prévention de Santé Publique France qui la publie. L’objectif n’est donc pas de prouver le lien, mais de partir de l’hypothèse qu’il y a un lien, ce qui est fondamentalement différent. Développons.
Préambule
La réputation du site European Scientist, dont une publication a été à l’origine de cet article, est ambivalente : tandis qu’il propose des analyses critiques et soutient une vision technologique et rationnelle du développement, il est également perçu par certains comme un organe d’influence.
Je ne cautionne aucunement l’intégralité du site, mais reprends à mon compte les éléments d’un article étayé et dont les arguments me semblent scientifiquement crédibles. Par ailleurs, critiquer un point précis ou une étude précise ne signifie pas qu’on soutient l’opinion contraire : ça signifie simplement qu’on est lucide, instruit, critique, réfléchi, pragmatique et ouvert au dialogue et à la discussion (le contraire de Sandrine Rousseau, en somme).
Morts ou décès prématurés ?
Première approximation très grossière : on ne parle en réalité pas de morts mais de décès prématurés2. Beaucoup n’iraient pas plus loin, mais moi j’ai horreur qu’on me la fasse à l’envers : j’ai donc essayé de comprendre la différence. La notion de décès prématuré (ou décès avant l’âge prévu selon l’espérance de vie) est couramment utilisée en santé publique et en épidémiologie pour évaluer l’impact des facteurs de risque sur la mortalité d’une population. Il s’agit d’une métrique statistique et non de causalité !
C’est peut-être un détail pour vous, mais en vrai ça veut dire beaucoup : cela signifie juste que si la pollution réduit l’espérance de vie, la mesure fournie est une quantification statistique et non par un constat médical établissant un lien de cause à effet. Donc tout ce que cela indiquerait, c’est que 48 000 personnes par an (en France) verraient leur espérance de vie réduite par la pollution, dans une hypothèse donnée (et choisie). La communication militante n’indique évidemment pas de combien d’années il s’agit mais, selon les scenarios, cela varie de 1 à 9 années.
Escroquerie mondiale
Jeu de mot facile pour la consternante indigence du journal Le Monde, qui sans remuer les sourcils publie deux articles parfaitement contradictoires. Je cite la publication dont j’ai tiré les principaux griefs de cet article :
Le rapport de Santé Publique Française, à l’origine du chiffre des 48 000 victimes annuelles de la pollution de l’air en France, est sorti un mois après un article de la prestigieuse revue Nature, qui tentait la même évaluation à l’échelle mondiale. La presse écologiste militante a largement relayé ces deux publications, sans jamais relever leurs contradictions évidentes.
Pollution de l’air : 38 000 morts par an dans le monde, dont 48 000 en France… (europeanscientist.com)
Escroquerie suivante
Un des paramètres essentiel du modèle développé est le RR, ou risque relatif, qui établit le lien entre mortalité et la concentration en particules fines de l’air. Soit. Sauf que ce paramètre… a été purement et simplement choisi par les auteurs, et dans une fourchette haute. La question n’est pas de savoir si elle est correcte : le problème est qu’on n’en sait rien. C’est bien dommage, car ce paramètre essentiel aurait mérité une étude statistique fine préalable, car les résultats en dépendent fortement (avec d’autres paramètres, bien sûr). Ici, on peut raisonnablement penser que plus ce RR est élevé, plus les chiffres de décès prématurés le seront aussi.
Après, je ne serai pas aussi sévère que l’auteur de l’article d’europeanscientist.com à ce sujet, car le but de Santé Prévention France est d’estimer l’effort à fournir quand les hypothèses sont mauvaises : s’il n’y a pas d’impact prévu, il n’y a aucune action à prévoir !
Encore un moyen de biaiser
On appelle ça le biais de confirmation : on ne retient que ce qui va dans le sens attendu, en ne recherchant que ce qui vous arrange et que ce qui semble confirmer vos observations. Les auteurs de l’étude en question2 se gargarisent en vantant que leur étude confirme les résultats d’autres études ; or leur étude ne se base que sur… les résultats de ces mêmes études. Encore heureux ! Il aurait fallu faire des observations et recouper avec d’autres données réelles et nouvelles pour pouvoir affirmer cela. En gros : cette étude ne nous apprend que ce qu’on sait déjà.
Quel intérêt, alors ?
Très bonne question. Ca ne sera surtout pas de prouver la toxicité de la pollution, puisqu’on la présuppose. Il faut alors revenir sur la mission de Santé Publique France : coordonner et renforcer les actions de prévention, de promotion de la santé et de protection de la population face aux risques sanitaires. Il s’agit donc de prévoir les moyens pour faire face, et non d’établir les causalités d’un phénomène. L’étude cherchait à appréhender la répartition géographique des impacts de la pollution et non à prouver l’impact de la pollution sur la santé. Malheureusement, d’autres biais faussent au moins partiellement ces résultats, notamment l’absence de prise en compte d’autres facteurs comme le niveau de vie, l’accès aux soins, le régime alimentaire, etc. On est donc très loin des standards des études épidémiologiques classiques : il ne faut attendre de cette étude qu’une indication pour l’aide à la répartition des moyens à mettre en œuvre en cas de lien avéré entre pollution et décès (prématurés), rien de plus. Le lien pollution-santé reste à établir (ou à retrouver) dans des véritables études épidémiologiques.
Difficile à trouver
Tout aussi inquiétant : j’ai eu un mal fou à retrouver toute trace de cette fameuse étude. J’ai cherché dans les rapports de l’Agence Européenne pour l’Environnement (AEE), du Global Burden of Disease (GBD), de l’INSERM, de Santé Publique France, d’Eurosat, de l’Organisation Mondiale de la Santé, de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie, de PubMed… Résultat : rien ! Curieux, pour une étude qu’on cite partout et qui fait foi. La seule trace que j’ai pu trouver est dans un article critique qui y fait référence, mais le lien ne fonctionne plus ; il a fallu replonger dans le site de Santé Publique France pour retrouver l’originale2.
Or un travail remarquable ne disparaît pas, en général, surtout à l’ère d’internet : on le reprend, on le cite, on y fait référence, on le complète… Ici : plus rien. Est-ce un aveu de son inutilité et, plus certainement, des mauvaises interprétations qu’on pourrait en faire ou, pire, des erreurs que cette étude contiendrait ?
Résultat réel de l’étude
On le trouve en page 30, figure 10. J’ai surligné les bornes minimales et maximales. Tout en haut, 48 283 décès prématurés, c’est-à-dire entraînant une diminution de l’espérance de vie de 9 ans. Tout en bas, dans un scenario d’une valeur cible définie par une directive européenne, on ne trouve plus que 11 décès pour une différence d’espérance de vie de 1 an seulement.
Espèce de climatosceptique !
Non, critiquer un raisonnement erroné ne fait pas de nous des climatosceptiques. Mais comme toujours, à de vrais problèmes complexes, on nous fait miroiter des solutions simples (voire simplistes), rapides, mais fausses. Ici, la lutte contre la pollution ordinaire ne doit pas être remise en question, mais priorisée par rapports à de vrais enjeux de santé. Avec autant d’incertitudes, on ne peut rien affirmer sur la pollution. Comme disait un pneumologue dont il va falloir que je retrouve la trace, la pollution est certainement néfaste, mais aujourd’hui on ne peut pas le savoir car on meurt d’autre chose avant, notamment du cancer du poumon.
Ce genre d’étude jette aussi du discrédit sur la communauté scientifique, car l’utilisation d’artifices ronflants repris de façon militante ne fera qu’opposer les gens, les diviser, alors qu’au contraire l’union des forces est indispensable pour adresser les problèmes posés par la pollution et la surconsommation.
Dernier écueil, notre presse de moins en moins impartiale et de plus en plus militante (à notre époque) va aussi troubler les esprits et les détourner d’actions efficaces et utiles. Le Monde n’est plus qu’une feuille de choux, et c’est bien dommage.